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Les carnets de Volovent

Tous les enfants sauf un - Philippe Forest

19 Mai 2007 , Rédigé par vy Publié dans #lectures

"Tous les enfants, sauf un, grandissent" écrivait James Barrie au début de Peter Pan.
Il y a dix ans, Pauline, la fille de Philippe Forest, mourait d'un cancer des os à l'âge de quatre ans. Il y a dix ans, il écrivait un premier roman, L'enfant éternel. Un roman à vif, écrit quelques mois tout juste après le décès de l'enfant. Puis il y eut Toute la nuit, un autre roman qui faisait suite au premier. Et puis Sarinagara... Tel Sisyphe, Philippe Forest revient toujours sur cette tragique expérience, comme une thérapie qui se révèle chaque fois insuffisante puisque le désir serait d'arrêter d'écrire mais que la réécriture est toujours nécessaire. Cette fois c'est un essai, Tous les enfants sauf un, un travail de réflexion sur la maladie de l'enfant et la mort qui s'est construite au cours des dix dernières années.
 
Je suis une lectrice enthousiaste des écrits de Philippe Forest, essais sur la littérature, articles dans la revue artpress. J'hésitais pourtant à me lancer dans la lecture ce livre, revenir sur la mort de l'enfant que j'avais lu dans L'enfant éternel me paraissait "dérangeant". J'ai donc longtemps hésité depuis sa sortie, d'abord le recherchant puis le prenant en main en librairie, y renonçant, mais il semblait que cette fois le livre m'attendait à la bibliothèque. En l'ouvrant, en le lisant, j'ai vite compris que je serais passée à côté d'un manque si je ne l'avais pas lu.
 
L'écriture énergique de Forest a un impact qui ne reste jamais sans résonnance sur le lecteur.
Il est loin d'être tendre et fait abstraction de tout sentimentalisme, même si la souffrance ne quitte jamais les pages. Il développe un sujet que la société dévouée aux "leurres de la si fragile satisfaction" se trouve bien des raisons d'occulter dans la mesure du possible (alors que "le réel c'est [justement] l'impossible"). Ainsi de la mélancolie hospitalière, au deuil, à la place des superstitions face à la mort, et cette impossible réalité qui oblige à "faire des compromis avec la vie pour pouvoir survivre.", le livre, pas très épais (174 pages), en dit beaucoup et donne dans une bibliographie touffue où les noms de Barthes, Oé, Sonntag cotoient ceux de Kristeva, Blanchot, Bataille, etc. la possibilité de poursuivre sur un sujet qui nous concerne tous.
Mais ce livre toujours recommencé pose une autre question : à savoir la littérature est-elle une thérapie ? "La littérature n'offre aucun salut, elle est une manière de traiter avec le réel." disait Forest dans une émission d'Alain Veinstein.

Deux extraits du livre :

"Je m'imagine que le roman d'hier et l'essai d'aujourd'hui se tiennent face à face dans le temps, qu'ils enveloppent en eux toute l'épaisseur étrange de ces dix années. Beaucoup de choses se sont certainement passées depuis dans ma vie [...]. Mais je vois bien malgré tout que le temps est resté immobile, que le moment n'est pas passé vers lequel me fait revenir chaque pensée puisque c'est en lui que se tient pour toujours l'expérience vive d'avoir aimé."
 
Et cette citation de Barthes, tirée de La chambre claire : "On dit que le deuil, par son travail progressif, efface lentement la douleur ; je ne pouvais, je ne puis le croire ; car, pour moi, le Temps élimine l'émotion de la perte (je ne pleure pas), c'est tout. Pour le reste, tout est resté immobile. Car ce que j'ai perdu, ce n'est pas une Figure (la mère), mais un être ; et pas un être, mais une qualité (une âme) : non pas l'indispensable, mais l'irremplaçable."

Tous les enfants sauf un - Philippe Forest (Gallimard)
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